La Reine d'Espagne vient de découvrir la véritable identité de l'homme qu'elle aime : il n'est pas un grand seigneur mais un homme du peuple. La pièce raconte comment un valet, manipulé par son ancien maître chassé de la cour, va révéler progressivement son amour à la reine d’Espagne malgré le terrible secret qu'il cache : son identité véritable. Lorsque Don Salluste revient à la Cour et fait éclater la supercherie, Ruy Blas le tue sous les yeux de la reine. Cette dernière est effondrée par ce qu’elle vient d’apprendre et demeure sans voix, « immobile et glacée ».
Acte V, scène 4
LA REINE
Monsieur...
RUY BLAS, toujours à genoux.
N'ayez pas peur, je n'approcherai point.
À votre majesté je vais de point en point
Tout dire. Oh ! croyez-moi, je n'ai pas l'âme vile ! — [...]
Ayez pitié de moi, mon Dieu ! mon cœur se rompt !
LA REINE
Que voulez-vous ?
RUY BLAS, joignant les mains.
Que vous me pardonniez, madame !
LA REINE
Jamais !
RUY BLAS
Jamais !
Il se lève et marche lentement vers la table.
Bien sûr ?
LA REINE
Non, jamais !
RUY BLAS
Il prend la fiole posée sur la table, la porte à ses lèvres et la vide d'un trait.
Triste flamme,
Éteins-toi !
LA REINE, se levant et courant à lui.
Que fait-il ?
RUY BLAS, posant la fiole.
Rien. Mes maux sont finis.
Rien. Vous me maudissez, et moi je vous bénis.
Voilà tout.
LA REINE, éperdue.
Don César !
RUY BLAS
Quand je pense, pauvre ange,
Que vous m'avez aimé !
LA REINE
Quel est ce philtre étrange ?
Qu'avez-vous fait ? Dis-moi ! réponds-moi ! parle-moi !
César ! je te pardonne et t'aime et je te croi1 !
RUY BLAS
Je m'appelle Ruy Blas.
LA REINE, l'entourant de ses bras.
Ruy Blas, je vous pardonne !
Mais qu'avez-vous fait là ? Parle, je te l'ordonne !
Ce n'est pas du poison, cette affreuse liqueur ?
Dis ?
RUY BLAS
Si ! c'est du poison. Mais j'ai la joie au cœur.
Tenant la reine embrassée et levant les yeux au ciel.
Permettez, ô mon Dieu ! justice souveraine !
Que ce pauvre laquais bénisse cette reine,
Car elle a consolé mon cœur crucifié,
Vivant par son amour, mourant, par sa pitié !
LA REINE.
Du poison ! Dieu ! C'est moi qui l'ai tué ! – je t'aime !
Si j'avais pardonné ? ...
RUY BLAS, défaillant.
J'aurais agi de même.
Sa voix s'éteint. La reine le soutient dans ses bras.
Je ne pouvais plus vivre. Adieu !
Montrant la porte.
Fuyez d'ici !
– Tout restera secret. – Je meurs.
Il tombe.
LA REINE, se jetant sur son corps.
Ruy Blas !
RUY BLAS, qui allait mourir,
se réveille à son nom prononcé par la reine.
Merci !
Victor Hugo, Ruy Blas, acte V, scène 4, 1838
1. Croi : la terminaison sans -s est une licence poétique, il s'agit d'une rime dite « pour l'œil ».
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